Atelier "chemins de l'enfance" - Vacances à la Bussière

Publié le par Fulbine

 

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Consigne d'écriture

Nous devons raconter une histoire de notre enfance avec des animaux, en insérant dans l'écriture des "je me demandais si" 30 minutes d'écriture (le texte a été un peu retravaillé)


 

Nous étions libres, un peu livrées à nous même durant les longs après midi de chaleur estivale. J’avais la seule obligation de faire une sieste après le repas de midi. Contrainte posée par le Médecin, puisque je n’allais à la cure que le matin. Cure thermale estivale qui six jours sur sept, durait presque un mois et se répétait chaque année depuis mes 5 ans. Cure dont les soins devaient me rendre plus solide pour l’hiver à venir. J’avais la santé fragile. Tous les matins j’étais aux soins. Je respirais les eaux de soufre et d’arsenic en brume vaporisée au vaporarium. 5 minutes le premier jour, 30 longues minutes en fin de cure. J’entrais seule dans cet espace qui sentait l’œuf pourri. Les non curistes n’y avaient pas accès. Je subissais les bains de pieds : des jets d’eau glacée puis successivement bouillante battant tous les pieds des enfants qui comme moi étaient assis sur les bancs. Les jambes nues passées dans des petites ouvertures carrées devant nous. Tchac tchac tchac j’entends et je sens encore le battement du jet passant de droite et de gauche, de gauche et de droite sur la peau. Nous sortions nos jambes rougies presque douloureuses. Nous marchions en file d’un soin à l’autre, eau chaude soufrée distillée dans les narines, gargarismes, ainsi de suite, jusqu’au rituel final de cette matinée de soins qui n’en finissait pas. La dégustation des eaux thermales : cinq millilitres de Romaine, trente millilitre de crevasse le premier jour et des quantités allant en augmentant ou en diminuant selon les ordonnances. J’aimais le goût de la Romaine, j’aurais eu envie d’en boire plus que la mesure donnée mais je n’osais pas. Je me demandais si cela pouvait affecter la cure. De plus le remplissage du gobelet gradué était surveillé avec précision par une dame à l’allure revêche. Ce rituel me faisait penser aux saints sacrements de la messe. Buvez le sang du Christ et de la guérison Amen.

 

Normalement les soins devaient se faire sur deux temps par jour, matin et après midi. Mais comme nous n’étions pas basés dans la ville thermale même, les logements y étant trop chers, ma mère avait obtenu la dérogation du médecin de tout regrouper dans la matinée, à condition que je me repose ensuite. Raison pour laquelle J’étais de sieste forcée. Je me reposais en attendant avec impatience l’heure autorisée pour aller jouer. Nous étions au « Château de la Bussière », un domaine constitué de quelques maisonnettes, dépendances d’un ancien petit château juché tout en haut d’une colline qui surplombait une large vallée bocagère. Nous ne disions pas le château, mais le manoir. Nous avions l’impression d’être seuls au monde. Ce lieu appartenait à une noble, maman disait la comtesse d’été. Un nom qui me faisait penser à la comtesse de Ségur. Je ne l’ai jamais vue. Quand nous arrivions de notre trajet en voiture au château de madame d’Eté, pour prendre les clés de la location, ma sœur et moi devions rester dans la voiture. Seuls mes parents entraient. A la rigueur, nous pouvions dégourdir nos jambes dans l’immense jardin bruissant de jardiniers, mais sans nous éloigner. J’imaginais cette dame recevoir mes parents, en longue robe et grand chapeau assise sur un large fauteuil en rotin, dans un jardin d’hiver verdoyant, rempli de fleurs, des myriades de papillons des îles voletant autour d’elle. D’ailleurs elle devait être très riche, puisqu’elle louait les maisons à des prix très bas, le gain des locations, n’était pas sa motivation. C’est ainsi que j’ai pu passer toutes mes vacances d’été dans cet endroit fabuleux durant mes années de cure.

 

Les maisonnettes ainsi que le manoir étaient loués à des vacanciers, curistes aussi pour la plupart. Allongée sur les draps frais de mon lit, j’entendais par les fenêtres entrouvertes de ma chambre les bruits du dehors. Assiettes, verres, rires, bourdonnements d’insectes, vent dans les arbres alentours. Une année j’entendais incessamment « Brice ton pouce ». Dans la maisonnette voisine, un enfant de 6 ou 7 ans subissait l’autorité d’une mère qui s’évertuait avec une conscience frisant l’acharnement à lui faire répéter son violon chaque jour après le repas. « Crin Crin Brice, ton pouce, Crin Crin Brice ton pouce », était le son répétitif qui me plongeait tel une berceuse dans le sommeil obligatoire, passe pour des après midi de liberté.

 

Après la sieste, je galopais avec ma sœur dans la campagne alentour. Nous inventions des jeux à l’infini. Nous nous cachions dans les énormes bottes de paille de la grange. Une partie du domaine était encore affectée à une activité agricole d’élevage. Des moutons paissaient dans la prairie sous le manoir en rentraient les jours froids à l’étable au fond de la cour des dépendances. Je passais des heures à explorer chaque recoin du domaine. Un jour j’ai découvert une pièce derrière la grange, au sol de terre battue, remplie de boite de pigments de couleur. Ils étaient empaquetés dans des sacs de papiers bruns. Il y en avait des dizaines sur des étagères jusqu’au plafond. Je passais des heures dans cette pièce à regarder fascinée les poudres de couleur qui semblaient avoir été abandonnées là depuis des années. Pêche à la grenouille, cueillette de champignons de myrtilles, constructions de cabanes, de balançoires dans les arbres avec un tronc de bois et de la ficelle à bottes de paille occupaient nos après midi. Le dimanche, nous prenions le pic-nic et nous partions souvent plus loin, parfois au bord de l’Alène, petite rivière où mes parents aimaient à pêcher. Je ramassais les écrevisses, pêchais des poissons chat, faisais des barrages sur la cascade. En fait de cascade, c’était la rivière qui tombait d’un petit muret construit le long d’un ancien moulin à aube. Nous marchions dessus avec témérité, l’eau tombant en bas dans une chute bruyante et impressionnante d’un peu plus d’un mètre qui nous paraissait beaucoup plus haut.

 

Une autre année mes parents avaient proposé à des amis de nous accompagner. Nous étions plus nombreux, nous avions pu loger dans le manoir lui-même. J’avais une chambre très grande avec un lit coincé dans un renfoncement de mur, caché par deux rideaux tel un baldaquin, et une pièce avec table, fauteuils, cheminée. Toute l’année j’étais coincée dans la même chambre que ma sœur, ce privilège m’était donné parce que je devais me reposer plus que les autres. Nous avions des complices de jeu cette année là, deux filles d’à peu près notre âge 9 ou 10 ans. Je ne sais plus qui a eu, une après midi, l’idée de jouer avec les moutons. Le troupeau paisible paissait dans la pente. En cas de chaleur ils se regroupaient dans le petit bois que nous avions nommé le bois de l’Est. De l’autre côté du champ, se trouvait le bois de l’Ouest. Les arbres y étaient bas et n’avaient plus de feuilles en dessous de la hauteur à laquelle les moutons pouvaient brouter. Les branches étaient accessibles. L’idée était de faire peur aux moutons, en passant derrière eux. Il fallait crier pour les déloger du bois de l’Est, les amener par des grands mouvements de bras à courir dans le champ jusqu’au bois de l’Ouest. Bien sûr le clou du jeu était qu’une d’entre nous à la fois fasse peur aux moutons, tandis que les autres attendaient au milieu du champ. Voir ces moutons en troupe nous foncer dessus au pas de charge, puis attendre la dernière minute pour courir en ayant l’impression qu’ils nous poursuivaient, était le but de ce jeu risqué. La frayeur ressentie était  horrifiante et excitante à la fois. Nous courions tout en hurlant de peur et riant aux éclats, ne sachant pas quelle émotion prenait le dessus. Arrivées au bois de l’Ouest, nous devions grimper le plus vite possible sur les arbres dénudés afin de voir, soulagées, les moutons passer au dessous. Puis nous recommencions ainsi du bois de l’Ouest au bois de l’Est, jusqu’à épuisement des braves moutons qui alors trouvaient à se réfugier au sud, où le jeu n’était plus possible mais où ils gagnaient leur repos. Riant de ces moments exaltants, nous montions nous désaltérer à la maison, les parents nous demandant parfois où nous étions et nous de répondre « on jouait au champ ». Une fois ce rapide compte rendu effectué, un goûter avalé, nous repartions jouer dans cet espace où les idées ne manquaient jamais. J’aimais ces vacances, cet endroit fabuleux pour enfants insouciants. Une période heureuse durant les étés chez madame d’Eté.


 

J'ai retrouvé des images de ce lieu, qui est devenu aujourd'hui un gîte à louer, mais les paysages restent tels que dans ma mémoire.

Les images proviennent du site de présentation du lieu.

 

bois-de-l-Est.jpgLe bois de l'Est

bois-de-l-ouest2.jpgLe bois de l'Ouest

bussiere2.jpgLa vue au sud

gastounette2.jpgUne des petites maisons de dépendances

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Les autres, et au fond de la cour, la grange.

La fenêtre au 1er étage de la maison de droite,

était ma chambre d'où j'entendais jouer du violon dans la maison attenante

 

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Le manoir vu de derrière

 

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de devant

 

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Le chateau date du 16ème siècle

Publié dans Atelier d'écriture

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F
<br /> On se plonge avec envie dans ces jeux et paysages de l'enfance.<br /> <br /> <br />
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