La rivière aux éléphants

Publié le par Fulbine

Atelier d'écriture de Clodine (Porte-plume écriture) chez Elizabeth (www.elizabethmorgan.fr)

Consignes d'écriture : Elizabeth crée des colliers qui sont en exposition dans son atelier, nous devons choisir un collier, et se servir de son nom pour écrire une histoire.

Le collier que je choisis s'appelle "la rivière aux éléphants"

 

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Illustration Fred Sochard

 

Debout sur la berge devant les eaux vert-sombre, comme chaque jour  Dinesh attend. Il avance ses jambes et pose ses pieds au plus près du talus en faisant attention de ne pas glisser. À cet endroit la terre est humide du brouillard de la nuit. En ce mois d’octobre la chaleur de la journée n’est pas encore suffisante pour la sécher complètement.  Il est difficile d’imaginer que dans quelques semaines, elle se fissurera du manque d’eau.

C’est l’endroit que Dinesh préfère pour attendre. Il y a quelques instants, dès qu’il a ressenti les premières vibrations dans le sol, il a laissé son travail en plan et couru pieds nus la pente depuis la petite clairière où il travaille jusqu’à la rivière.

 

Dinesh travaille tous les après midi. Le matin sa mère veut qu’il aille à l’école pour avoir un peu d’éducation comme elle dit. Elle aimerait qu’il travaille comme son cousin Tarun avec les ordinateurs. Tarun est parti étudier à Coimbatore deux années. Quand il est revenu il a eu un prêt de la ville et a installé des ordinateurs dans le local de Padawani l’ancien réparateur de vélo qui est mort l’année dernière. Il parait que son affaire marche bien c’est pour ça que sa mère veut qu’il aille à l’école tous les jours. Alors il l’écoute, mais il préfère la forêt. Dès que l’école est finie, il rentre pour enlever son uniforme et court vers la montagne.

Il traverse la plantation de Monsieur Thirrupur en se baissant le plus possible. Les ouvrières craignent qu'il abîme les jeunes feuilles de thé. Quand elles le voient elles le sermonnent, mais c’est le chemin le plus court pour aller jusqu’à son porte d’observation.

Pour ramener quelques roupies à la maison, Dinesh tresse des paniers avec des bandes d’écorces d’eucalyptus qu’il détache avec soin chaque soir. Il les laisse tremper dans des nasses de bambou toute la nuit et quand il les récupère, elles sont suffisamment souples pour être tressées. Il essaye d’en tresser le plus possible chaque jour. Le Samedi il va les vendre au grand marché de Kaladi.

S’il a choisi cet endroit pour travailler, ce n’est pas parce qu’il y a de bons arbres, il peut en trouver beaucoup plus près de la maison et sans se faire attraper par les ouvrières de Monsieur Padawani. Dinesh attend.

 

Au bout de la rivière, dans une brume d’éclaboussures d’eau, éclairés par les pointillés de soleil qui traversent les feuilles, les éléphants massifs et majestueux avancent vers lui. La terre tremble. Une douzaine d’éléphants adultes et quelques jeunes, qui suivent sans faiblir, indifférents aux nuées d’insectes voletant autour d’eux. Dinesh les regarde comme dans un rêve.

Il est fasciné par le vieil homme monté sur l’énorme éléphant qui ouvre cette marche solennelle. Il porte un immense turban indigo enroulé sur la tête et des habits de soie orange. Dinesh n’a d’yeux que pour le bijou somptueux sur sa poitrine, fait de soie bleue brodée d’or scintillant. Les éclats de pierres incrustées, des turquoises grosses comme sa main et des dizaines de petites émeraudes, jouent avec les reflets du soleil dans l’eau. Cet homme est d’une caste si élevée que Dinesh sait qu’il ne pourra jamais l’atteindre, même après plusieurs vies de bonnes actions.

 Dinesh observe attentivement et tente de se rapprocher le plus possible de l’escarpement de la rive pour se faire voir. Mais l’homme ne tourne jamais la tête vers lui. Dinesh retient sa respiration pour ne rien manquer de ce rituel immuable.

 

Le temps semble s’arrêter. Les éléphants passent un par un devant lui et s’éloignent. Le mirage disparaît dans la brume d’éclaboussures. Dinesh ne voit déjà plus que les pesantes silhouettes et n’entend plus de battements autres que ceux de son cœur.  

Dinesh ne bouge pas. L’eau de la rivière redevient calme et paisible. Peu à peu il entend de nouveau les bruits des oiseaux dans les arbres, le bourdonnement des insectes.

Dinesh se retourne et remonte vers son travail. Il se presse un peu, il lui reste encore beaucoup de paniers à tresser avec les lanières de la journée s’il ne veut pas qu’elles se perdent en séchant. Avec l’arrivée de l’été les arbres commenceront à perdre leur écorce, il n’arrivera bientôt plus à en enlever suffisamment de bonne qualité. Il marche sur la terre avec un peu de tristesse, juste à peine. Dinesh sait que demain il contemplera à nouveau la rivière aux éléphants.

 

Ci dessous le collier qui m'a inspirée

 

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Publié dans Atelier d'écriture

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F
<br /> Bravo ! TRès beau et le blog que je découvre aussi. Ça fait plaisir de relire ce texte en y prêtant plus attention. J'adore les noms des personnages et le petit bonheur quotidien de Dinesh...<br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Merci Fab :) au plaisir de réécrire ensembles ... A bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />